Exclusif : les dessous du scandale du RGI
La rédaction de CIO a reçu une copie de la note qui aurait été remise par la direction de Microsoft au gouvernement français à l'automne dernier et qui serait à l'origine du recul de la France face à l'éditeur américain.
PublicitéLe texte qui nous est parvenu est, pour nous, crédible, notamment à cause des voies empruntées, raison pour laquelle la Rédaction de CIO publie cet article. Mais il convient néanmoins de rester prudent, la manipulation semblant être une chose courante dans ce dossier... Le fait que ce texte sorte à quelques jours d'une grande opération de Microsoft dans l'Hexagone, l'Imagine Cup, est probablement un hasard... A l'automne dernier, la direction de Microsoft a rencontré les plus hautes instances de la République Française. L'éditeur souhaitait à tout prix bloquer la publication du Référentiel Général d'Interopérabilité (RGI), consacrant le format OpenDocument, normalisé ISO, comme seul format bureautique de l'administration française. Or ce format est soutenu par les concurrents du géant de Redmond, empêtré à l'époque dans le refus de voir son propre format, Office OpenXML, confié au consortium ECMA. Il a depuis et à son tour été normalisé par l'ISO. Or Microsoft Office 2007 a été conçu autour de ce format dont le rôle est essentiel pour placer la suite bureautique en interface plus ou moins unique du SI, notamment au travers des schémas métier, pérennisant ainsi la domination de Microsoft sur le poste de travail. Une « note sur le Référentiel Général d'Interopérabilité » de six pages aurait alors été remise par l'éditeur aux dirigeants français. Il en aurait résulté un retard volontaire de publication du RGI, pourtant prêt à être appliqué, et le recul de l'Etat aboutissant à l'intégration d'Office OpenXML dans le RGI, une fois la normalisation ISO de ce format obtenue, comme nous l'avons raconté ici même. C'est cette note qui nous serait parvenue. Au delà du déjà énorme marché de l'administration, l'éditeur pouvait craindre que le choix exclusif du format OpenDocument (ODF) donne un coup fatal à la suite bureautique Microsoft Office 2007, y compris dans le secteur privé, qui s'inspire souvent des choix techniques de l'Etat, partage des énarques aux directions d'organisations oblige peut-être... Dans ce qui suit, nous tiendrons pour acquis que le texte qui nous est parvenu est authentique et nous l'appellerons donc « la note », « la note de Microsoft » ou en usant d'un terme équivalent, sans plus de précaution oratoire ni emploi du conditionnel. Après un rappel du contexte et de la définition du RGI, Microsoft affirme dans sa note avoir toujours soutenu la démarche d'interopérabilité des SI publics. A ce titre, dès la page 1, « Microsoft, au nom du pluralisme et de la neutralité technologique de l'Etat, a demandé qu'OpenXML, standard ouvert, libre de droit et documenté, au sens de l'article 4 de la LCEN, soit également recommandé à côté du standard appelé ODF. Microsoft a constamment présenté une position équilibrée et neutre, en demandant que soit respectée l'égalité de traitement ». L'administration s'est dirigée massivement, depuis des années, vers la suite bureautique OpenOffice qui utilise le format OpenDocument, cela pour des raisons de coût et de facilité de déploiement sans gestion onéreuse des licences et surtout sans le versioning au rythme imposé par un éditeur indépendamment de tout besoin métier. Supprimer l'usage de OpenDocument était donc impossible. Il restait donc à permettre l'usage d'OpenXML à côté... Vient alors un passage savoureux où Microsoft rappelle que la DGME, qui est à l'origine du RGI, avait exigé que l'éditeur entre dans une démarche de normalisation. Et cette normalisation n'est qu'une question de temps... L'échec devant l'ISO, à l'automne, n'est pas rappelé, mais le rôle de l'ECMA, un consortium privé, mis en avant. De même, les réserves émises par de nombreux experts sur certaines parties du format OpenXML en terme de propriété intellectuelle ne sont pas rappelées... Microsoft s'appuie sur l'avis de « la grande majorité des utilisateurs », citant ainsi le Syntec et le Cigref (dont la position officielle, concernant uniquement le vote à l'ISO, rendrait pourtant perplexe...), l'Afdel (syndicat d'éditeurs de logiciels créé à l'initiative d'alliés traditionnels de Microsoft, qui n'est guère un 'utilisateur' ou leur représentant au sens commun du terme), 'des collectivités territoriales' (non-nommées et non-dénombrées)... Tous ces gens souhaiteraient donc une pluralité des standards ouverts. La DGME fait ensuite l'objet d'une attaque massive de plus d'une page (à cheval sur les pages 3 et 4 de la note) au sujet d'une procédure concernant le RGI « en dehors de tout cadre légal » et « manquant singulièrement de transparence ». Et, horreur, l'administration s'est contentée des avis de ses propres experts sans jamais solliciter les organisations du secteur privé (comme le Cigref ou le Syntec) ou l'incontournable Afdel, mais en oubliant par pure manque d'attention des associations à l'effectif plus important comme l'Adullact et l'April... Rappelons que le RGI ne vise que les règles des SI de l'Etat... Par pure coïncidence, le patron de la DGME a été, peu après la remise de cette note, remercié... et remplacé par un dirigeant du cabinet (privé) Mc Kinsey. Le bas de la page 3 de la note contient un morceau d'anthologie qui mériterait la Noix d'Honneur du Canard Enchaîné : « il ne peut être question d'imposer un standard exclusif car cela conduirait à encadrer la liberté de choix des administrations, des collectivités locales, des acteurs privés comme des usagers ». De fait, pour prendre une image, la standardisation de l'écartement et du diamètre des branches des prises électriques limite singulièrement le choix des acteurs du marché et des acheteurs... puisque c'est précisément l'objet d'une normalisation, ce afin de diminuer les coûts liés à la multiplicité des 'standards' ! On trouve juste une contradiction avec le début du texte puisque Microsoft y fustige le rôle exclusif des normes « dites ouvertes » dans l'interopérabilité, au point qu'on peut se demander pourquoi Microsoft a tant bataillé pour que son propre format OpenXML soit, rappelons ses propres mots deux pages avant, « un standard ouvert, libre de droit et documenté, au sens de l'article 4 de la LCEN »... Soyons cependant justes et Microsoft indique clairement quelques problèmes réels. En effet, le RGI mentionnait la norme OpenDocument 1.0. Or, cette norme est de fait déjà obsolète et remplacée par une version 1.1 pas encore normalisée par l'ISO. Comme toute norme (et OpenXML n'échappe pas plus à la règle qu'OpenDocument), la version 1.0 est toujours immature. En l'occurrence, Microsoft insiste beaucoup sur le problème de l'accessibilité des handicapés, qui préoccupe pourtant bien peu les décideurs et concepteurs de sites web... De même, l'existence de convertisseurs permet en effet de transposer des documents d'un format dans un autre et Microsoft a pris l'initiative de faire développer de tels convertisseurs entre OpenXML et OpenDocument. Encore faut-il que les convertisseurs soient 'parfaits' pour qu'il n'y ait aucune perte d'information... Un argument très discutable est rappelé sous plusieurs formes dans la note : le poids de l'existant. Certes, dans l'absolu, l'argument est difficilement contestable. Tout DSI connaît la différence entre un idéal théorique et ce qu'il peut faire sans rupture de service. Mais Microsoft oublie juste de préciser que l'existant, en matière de bureautique, c'est souvent Microsoft Office 97, 2000 ou XP. Ces versions de sa suite logicielle n'utilisaient absolument pas OpenXML. Et l'encapsulation des anciens formats binaires dans le format OpenXML constituait précisément une des réserves de l'ISO... qui a abouti à une scission du format par l'organisation internationale, comme demandé par l'Afnor dès Octobre 2007, le 'coeur' de la norme revue et corrigée début 2008 ne prévoyant justement pas cette encapsulation, donc la reprise sans conversion de l'existant. Microsoft s'appuie également sur un rapport européen, jamais converti en recommandation, concernant un 'RGI européen', l'EIF (European Interoperability Framework) et issu des travaux du cabinet privé Gartner. Ce cabinet américain recommande dans ce rapport de supporter plusieurs formats, de ne pas soutenir les formats ouverts, de faire jouer la concurrence entre logiciels libres et commerciaux et... de ne pas considérer l'interopérabilité comme un but ! En conclusion, Microsoft, indique dans sa note que le RGI devrait recommander deux standards non encore normalisés par l'ISO : OpenDocument 1.1 et OpenXML (sans numéro de version. Rappelons que la version ISO d'OpenXML n'est aujourd'hui ni écrite ni implémentée dans le moindre logiciel). Un telle position aurait été adoptée « par une grande majorité des Etats ». L'ONU version Microsoft semble bien réduite : Allemagne, Danemark, Massachussets (un état des Etats-Unis)...
Article rédigé par
Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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