Interviews

Benoît Tiers (SNCF) : « e.SNCF accompagne notre transformation numérique au bénéfice de nos 150 000 collaborateurs et des 5 milliards de voyageurs annuels »

Benoît Tiers (SNCF) : « e.SNCF accompagne notre transformation numérique au bénéfice de nos 150 000 collaborateurs et des 5 milliards de voyageurs annuels »
Devenu Directeur Général Digital et SI du groupe SNCF le 12 septembre 2016, Benoît Tiers est désormais directeur général de e.SNCF, le nouveau département transverse du numérique de l’opérateur ferroviaire.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°145 !
SNCF : mener une révolution numérique à l'âge de 80 ans

SNCF : mener une révolution numérique à l'âge de 80 ans

Opérateur ferroviaire aux nombreuses filiales, la SNCF ne fait pas penser à une start-up. D'autant que, créée le 1er janvier 1938 en application du décret-loi du 31 août 1937, la SNCF fête actuellement ses 80 ans. Pourtant, cette entreprise mène une réelle transformation numérique exemplaire au...

Découvrir

Benoît Tiers, directeur général de e.SNCF, dirige les activités numériques au sens large au sein du groupe SNCF. Au delà de la stricte informatique et des télécoms, il s'agit bien d'accompagner la transformation numérique de l'opérateur ferroviaire dans toutes ses activités, du terrain à la direction. Pour le groupe SNCF, les challenges se multiplient autour de la donnée (notamment avec l'IoT) et des processus métiers impactés par le numérique (près d'un quart dès aujourd'hui). Le budget d'investissement de e.SNCF représente 900 millions d'euros sur trois ans.

PublicitéCIO : Vous avez pris la tête du numérique de la SNCF depuis environ un an après avoir opéré aussi bien dans le nucléaire, la pharmacie ou le transport maritime. Qu'est-ce qui vous a attiré dans cette société ?

Benoît Tiers : La première fois que je me suis intéressé à la SNCF, c'était en 2009. Dès cette époque, j'avais la perception -qui s'est confirmée- du potentiel de transformation numérique de ce groupe.
La SNCF, ne l'oublions pas, c'est 5 milliards de voyages par an, soit 3,5 millions de voyageurs par jour grâce à 15 000 trains quotidiens desservant 3000 gares ! Les chiffres sont impressionnants dès que l'on parle de la SNCF.
Malgré sa taille, la SNCF a toujours été pionnière dans le numérique au sens large. Par exemple, on peut mentionner la création de Voyages-SNCF.com en l'an 2000. Depuis 2015, nous avons commencé à créer des Maisons du Digital, nos « 574 », mais aussi mis en oeuvre des projets structurants de connexions. Et, en 2016, nous avons créé une entité unique pour le numérique au sens large (Télécoms, Digital et Informatique classique), e.SNCF.

CIO : Est-ce que e.SNCF a en charge la totalité de l'informatique ou existe-t-il toujours des DSI par activité séparées ?

Benoît Tiers : C'est une bonne chose que les DSI métiers soient rattachés hiérarchiquement aux métiers. Nous avons une gouvernance à deux niveaux et notre Comité de Direction comprend les DSI des activités de SNCF Réseau et SNCF Mobilités ainsi que les dirigeants de e.SNCF ( DSI Groupe, CTO, CDO, CPO, directeur production, etc.).
Par ailleurs, nous avons une Team e.SNCF élargie entre autres à VSCT [Voyages-SNCF Technologies, une filiale de Voyages-SNCF, rattachée à l'activité Voyages, NDLR], filiale dont je suis le président, et à diverses entités régionales rattachées aux différentes régions / activités.



CIO : Quelles sont les missions spécifiques de e.SNCF ?

Benoît Tiers : Nous en avons quatre grandes. Tout d'abord, nous devons épauler les métiers dans leurs transformations numériques. Il est évident que le savoir-faire métier est entre les mains du métier. Mais nous apportons des compétences technologiques, méthodologiques et architecturales pour soutenir la performance et la transformation. Notre Chief Performance Officer (CPO), Henri Pidault, a d'ailleurs notamment pour rôle de s'assurer que le digital soit bien positionné au coeur de l'entreprise. .
La deuxième mission est d'élaborer la stratégie numérique du groupe. Bien sûr, cela amène la mission suivante qui est d'élaborer la stratégie technologique. Enfin, nous devons garantir la cohérence numérique de l'ensemble du groupe.

PublicitéBudget d'investissement de e.SNCF sur trois ans : 900 millions d'euros

Nous voulons en fait rassembler les happy fews du Digital, ceux de l'informatique qui sont quelque fois, et à tort, considérés comme des has been, et les télécoms qui sont trop souvent oubliés et dont on ne parle pas suffisamment. Or ce sont bien les télécoms qui soutiennent tout.
Le budget d'investissement de e.SNCF sur trois ans est de 900 millions d'euros. Cette somme est consacrée à des investissements au bénéfice du client, des collaborateurs, de la performance économique globale du groupe et de la sécurité ferroviaire. En matière de sécurité ferroviaire, un point évidemment fondamental pour SNCF. Il s'agit bien sûr d'utiliser le numérique pour l'accroître mais aussi de s'assurer que le déploiement d'outils numériques au sens le plus large n'a pas d'impact négatif sur la sécurité. Par exemple, la pose d'un capteur en IoT ne doit pas perturber le fonctionnement d'un train.

CIO : Cette transformation numérique de la SNCF se passe-t-elle bien ou avez-vous des regrets, des retards ou des difficultés ?

Benoît Tiers : Elle est réellement remarquable. Parfois, il y a de véritables pépites. Bien sûr, à d'autres endroits, nous pourrions accélérer davantage. On peut toujours faire mieux. En particulier, il nous faut accélérer sur la performance économique et industrielle. Nous devons intégrer les innovations dans une entreprise dont les process sont éprouvés depuis 80 ans. Il n'est pas question que l'innovation puisse affaiblir la fiabilité.
Il nous faut malgré tout poursuivre notre politique d'innovation, en accroître le rythme et l'ampleur, et surtout la mettre en production. Par exemple, nos apps mobiles V. et SNCF génèrent 40 millions de connexions par mois. Nous réalisons de nouvelles versions de ces apps tous les quinze jours en nous appuyant sur les avis des utilisateurs. Nous en accroissons le périmètre régulièrement pour arriver progressivement à une couverture globale du voyage de porte à porte. Enfin, nous devons continuer à tirer partie de notre patrimoine data, une mine d'or d'où il faut savoir extraire la richesse, surtout en la combinant avec d'autres sources pour en accroître la valeur aussi bien pour nos clients que pour la SNCF elle-même.
Et il ne faut d'ailleurs pas oublier que nous avons deux types de clients dans le monde de la mobilité : les voyageurs eux-mêmes, bien sûr, mais aussi les autorités organisatrices des transports publics [Les régions par exemple, NDLR].



CIO : En matière de digitalisation interne, par exemple sur l'IoT utilisée pour la maintenance, où en êtes-vous ?

Benoît Tiers : Il y a deux ans, on pouvait compter les capteurs et mesurer l'évolution de leur nombre. Aujourd'hui, ça n'est tout simplement plus possible et ça n'a de toute façon plus de sens. Un train moderne compte 2000 capteurs.
Il vaut mieux regarder l'évolution du nombre de processus impactés par le numérique, ce qui est un critère de jugement plus pertinent. Actuellement, nous en sommes environ au quart de l'ensemble des processus du groupe. En 2018, nous serons au tiers et à deux tiers fin 2019. Notre enjeu est bien que les métiers s'approprient le numérique avec notre appui, notre garantie de cohérence, etc.
Un autre critère peut être le nombre de personnes équipées d'outils numériques. Je parle bien d'outils individuels, pas d'une flotte de terminaux qui passeraient de mains en mains au fil du service. Fin 2017, 100 000 collaborateurs seront ainsi équipés de smartphones ou de tablettes. Par ailleurs, évidemment, il nous faut développer des outils de collaboration. Et, pour qu'ils soient utilisables, il nous faut une excellente couverture réseau dans les 3000 gares et sur l'ensemble du réseau ferré. Beaucoup de progrès ont été faits mais le travail n'est pas fini.

CIO : Comment allez-vous accompagner les collaborateurs dans cette révolution ?

Benoît Tiers : En effet, il faut que nous accompagnions nos collaborateurs dans une transformation numérique qui s'accélère. Aujourd'hui, une génération technologique, c'est dix-huit mois ! Quand j'ai commencé à travailler, on pouvait être ingénieur télécoms et réseaux. Aujourd'hui , il faut être l'un ou l'autre voire des spécialistes plus pointus encore faute de quoi on peut rapidement être dépassé.
D'ici la fin de l'année, nous allons donc créer une école du numérique pour tous les collaborateurs, du terrain à la direction. Cette initiative se combinera aux autres comme les Maisons du Digital, nos « 574 ».

CIO : Parmi les innovations précoces de la SNCF, il y avait le terminal Accelio pour les ASCT [Agents du Service Commercial Trains, « contrôleurs », NDLR]. Envisagez-vous de remplacer ce PDA par le smartphone générique de tout le personnel ?

Benoît Tiers : Non, nous avons encore besoin d'un outil spécialisé intégrant des spécificités. Mais nous sommes en train de définir la prochaine génération d'Accelio qui sera un PDA avec des outils dédiés. Le choix du fournisseur est en cours.

CIO : Dans le cadre de #DigitalPourTous, envisagez-vous le BYOD ?

Benoît Tiers : Pour l'instant, nous sommes pour permettre à chaque utilisateur de choisir le terminal avec lequel il se sent le plus productif mais dans une liste définie et c'est bien la SNCF qui achète et possède le terminal. Nous réfléchissons au BYOD mais nous ne disposons pas encore des capacités de sécurité et d'identification nécessaires pour l'adopter. Notre but est que tous les types de terminaux soient utilisables avec que chacun puisse jouir de la meilleure productivité grâce à l'outil qui est le plus pertinent.



CIO : Vous avez cité l'enjeu de la data. Où en êtes-vous de votre démarche open-data ?

Benoît Tiers : A ce jour, nous avons deux cents jeux de données ouverts. Nous avons une vraie stratégie d'open-data et une vraie stratégie de pilotage des données.
Mais la valeur provient souvent de la combinaison de données au sein du data lake du groupe ou du data lake de chaque activité. Avec une difficulté particulière : la structuration des données et de l'architecture pour les exploiter doit nous permettre de respecter la neutralité du réseau vis-à-vis de chaque opérateur de transport, notre activité Voyages n'étant que l'un des opérateurs. L'activité Voyages ne doit donc pas disposer de données plus riches ou avantageuses que ses concurrents ou futurs concurrents.
Par contre, la gestion de la donnée est bien unique. Il n'est pas pensable qu'il n'y ait pas une gouvernance unique au bénéfice de tous, collaborateurs comme voyageurs.

CIO : Vous avez également souligné plusieurs fois l'importance des télécoms. Où en êtes-vous ?

Benoît Tiers : Nous profitons de chaque chantier sur les voies pour passer de la fibre optique, 1500 kilomètres chaque année. On ne peut pas séparer, aujourd'hui, réseau de données et réseau ferré. Pour la conduite comme pour la supervision de la circulation des trains, il faut un réseau télécom performant.

« On ne peut pas séparer, aujourd'hui, réseau de données et réseau ferré »

Pour le Wi-Fi en gare, selon la génération technologique, soit il y a des infrastructures séparés totalement entre le réseau public et le réseau pour les cheminots, soit il y a une même infrastructure avec deux réseaux virtuels. La mobilité des collaborateurs implique une couverture totale de nos installations. Et, dans les bâtiments anciens, ce n'est pas toujours simple.
Concernant la connectivité telecoms, nous travaillons avec les opérateurs et l'ARCEP pour qu'il y ait des connexions performantes sur tout le réseau. Sur un TGV lancé à grande vitesse, qui constitue déjà une cage de Faraday, cela implique de changer d'antenne 3G/4G toutes les 1,4 seconde. Nous devons donc faire un relais de la 3G/4G en interne sous forme de Wi-Fi grâce à des antennes extérieures qui captent les réseaux des opérateurs.



CIO : Début août, un grave incident d'exploitation a affecté la Gare Montparnasse durant plusieurs jours. L'incident en lui-même n'est pas l'objet de ma question. Mais pourquoi l'information a-t-elle si mal circulé aussi bien en interne qu'au bénéfice des voyageurs, problème qui, là, relève bien du numérique ?

Benoît Tiers : Je vous confirme que l'information des voyageurs a été absolument anormale. Même si cela peut être compréhensible d'un point de vue de technicien, cela ne l'est pas par nos clients. Et le traitement de la crise n'a pas été optimal. Il y a trois niveaux d'information voyageur : en temps normal, en cas de trafic perturbé et en situation de crise. Cet incident démontre la nécessité de revoir l'information en temps de crise.
Cela dit, il est encore trop tôt pour en parler en détail. Une communication aura lieu sous deux mois. En effet, nous avons actuellement en cours une analyse contradictoire poussée qui débouchera dans un second temps sur un programme d'actions rapides et d'actions à moyen terme.

CIO : Dans les sujets du moments, souvent un cauchemar dans beaucoup d'entreprises, il y a le GDPR. Ce chantier est-il piloté par e.SNCF pour l'ensemble du groupe ?

Benoît Tiers : Des sujets de type « conformité », il y en a beaucoup dans une entreprise comme la SNCF. Celui du GDPR n'est pas, pour nous, un cauchemar. En effet, sur le fond, rien ne change et nous sommes donc proches d'être en conformité. Nous allons bien sûr tout vérifier, tout passer en revue, le moindre process, car on ne peut pas écarter a priori qu'il y ait, ici ou là, quelques détails à régler.
Mais, pour la SNCF, la Loi de programmation Militaire ou l'obligation de neutralité de notre activité réseau vis-à-vis de notre activité voyages ont été des chantiers de conformité bien plus lourds. Le GDPR clarifie les choses pour l'utilisateur qui a -rappelons-le- toujours été le propriétaire de ses propres données. La SNCF doit recueillir la confiance de ses clients pour que chacun accepte de lui confier les données nécessaires afin qu'il puisse ensuite recevoir les bonnes informations. Notre défi, en fait, c'est de faire de l'unitaire, du sur mesure pour chacun, mais avec des millions de clients quotidiens.

Partager cet article

Commentaire

Avatar
Envoyer
Ecrire un commentaire...

INFORMATION

Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.

Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire

Publicité

Abonnez-vous à la newsletter CIO

Recevez notre newsletter tous les lundis et jeudis