Arnaud Rödde (Total) : « éviter de forer inutilement un puits suffit à justifier le coût d'un super-calculateur »


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La valeur d'usage de l'IT, c'est un grand classique des préoccupations de la DSI. Mais, concrètement, comment l'accroître ? Comment diminuer les coûts, répondre avec agilité et produire plus de valeur ? Les exemples sont détaillés dans ce CIO.Focus, issus de l'atelier participatif CIO, de Total, de...
DécouvrirTotal a fait évoluer son supercalculateur Pangea construit par SGI pour modéliser plus finement les champs pétroliers. Cette amélioration se justifie par l'optimisation de l'exploitation induite. Arnaud Rödde, responsable des infrastructures HPC de la branche Exploration-Production de Total, explique le projet, son architecture, sa raison d'être et son avenir.
PublicitéCIO : Pourquoi Total a-t-il accru la capacité de son super-calculateur Pangea ?
Arnaud Rödde : Exploiter un champ de pétrole ne consiste pas à percer un trou dans un lac souterrain et à attendre que le pétrole jaillisse ! C'est un peu plus compliqué que cela, d'autant qu'on ne peut pas aller voir directement ce qui se passe sous terre. De ce fait, toutes les compagnies pétrolières ont recours à de la simulation numérique pour leurs géosciences. Lorsque nous avions mis en production Pangea en janvier 2013, l'évolution de 2016 était déjà prévue. Accroître la capacité de Pangea nous permet d'optimiser la précision des images 3D obtenues du champ examiné, de diminuer les temps de traitement et de mieux simuler la vie des gisements.
La première phase du projet a nécessité un investissement d'environ 30 millions d'euros pour un coût global approximatif de 60 millions d'euros sur 4 ans. La deuxième phase, celle de 2016, a été rendue possible par un investissement complémentaire de 35 millions d'euros.
CIO : Quelle est l'architecture de Pangea ?
Arnaud Rödde : Pangea est une machine dite massivement parallèle avec 220 000 coeurs de calcul qui délivrent une puissance de 6,7 Pflops assemblée par SGI. Ce constructeur a également intégré un stockage de 26 Po pour le calcul (le stockage des données en dehors du calcul est situé ailleurs). Ce stockage est basé sur des baies de disques DDN, et un système de fichiers répartis qui permet de satisfaire les besoins en débit (450 Go/s). Enfin, l'ensemble est interconnecté par 200 kilomètres de fibre optique et un réseau Infiniband de typologie hypercube. Nous avons fait ces choix car c'est l'architecture la plus efficace pour couvrir nos besoins.
En 2012, nous avions lancé un appel d'offres très ouvert laissant les constructeurs nous proposer les technologies et les architectures de leur choix avec des performances à atteindre. Chaque constructeur a présenté sa solution : Cray, HP, IBM, Fujitsu, Bull... et donc SGI. Ce dernier constructeur nous a proposé la meilleure offre à la fois en termes de performances, de coût et d'impact environnemental. Par exemple, pour illustrer le dernier point, le refroidissement s'effectue par circulation d'eau directement sur les lames de calcul (à ce jour nous n'avons jamais eu de soucis de fuite).
Comme je l'ai indiqué, il était prévu dès le départ de faire évoluer Pangea pour intégrer des processeurs de dernière génération.
CIO : Quelle sera la prochaine évolution de Pangea ?
Arnaud Rödde : Il est peu probable qu'il y en aura une, même si ce n'est pas complètement impossible, les limites de la machine actuelle semblent atteintes. En effet, Pangea est une architecture pure CPU. Nous commençons donc à réfléchir sur ce à quoi pourrait ressembler la prochaine machine, en nous projetant à trois ans. Nous envisageons plutôt un saut technologique, notamment pour rester dans des limites soutenables de consommation électrique. Actuellement, nous consommons 4,5 MW pour 6,7 Pflops. Une projection linéaire de l'évolution de nos puissances de calcul passées, nous amènerait dans trois ans autour des 100 Pflops. Si on conserve les mêmes ratios, la consommation serait de 80MW, ce qui n'est tout simplement pas envisageable. [NDLR : une centrale électrique moyenne, comme celle de La Baie sur l'île de la Réunion, produit 80 MW. La totalité de la production électrique de La Réunion, avec 834 000 habitants, représente 220 MW.]
Les nouvelles architectures sont moins consommatrices d'énergie. Donc, a priori, dans trois ans, nous relancerons une mise en concurrence pour construire une nouvelle machine et profiter des nouvelles solutions et technologies disponibles.
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CIO : Concrètement, vus les investissements colossaux dont on parle, à quoi cela sert-il d'accroître ainsi les capacités de calcul ?
Arnaud Rödde : Il s'agit pour nous d'être à la pointe pour décrire plus finement des champs de plus en plus complexes. L'objectif ultime est la capacité à simuler totalement la physique des champs de pétrole, donc de réduire les approximations dans nos calculs. Comme tout industriel, nous gérons nos risques opérationnels. Et le calcul permet de diminuer ces risques. Plus l'image du sous-sol est précise, plus nous maîtrisons nos risques. Par exemple, les champs situés sous les couches de sels sont difficiles à modéliser car les ondes sismiques se propagent très vite dans le sel. Réduire les approximations revient donc à améliorer l'image que nous obtenons. Par ailleurs, arriver à décrire précisément les phénomènes d'écoulement dans un réservoir (notamment autour des failles) grâce aux simulations, nous permet d'optimiser les développements des champs et ainsi optimiser nos investissements.
Un puits de pétrole peut coûter plusieurs dizaines de millions d'euros. Economiser ne serait-ce qu'un seul puits permet donc de justifier un projet comme Pangea.
CIO : Est-ce qu'accroître les capacités de calcul permet de remettre en exploitation d'anciens champs jugés épuisés ?
Arnaud Rödde : Les données acquises il y a des années peuvent parfois être retraitées avec les nouvelles capacités et les nouveaux algorithmes. Potentiellement, on peut imaginer une telle ré-exploitation mais, concrètement, nous n'avons jamais remis en exploitation des champs jugés épuisés. On est dans l'effet de bord.
CIO : Les algorithmes évoluent donc eux aussi ?
Arnaud Rödde : Bien sûr. Une équipe de développeurs dédiée intègre les nouveaux algorithmes au fur et à mesure dans l'outil. Ce développement a aussi un coût.
Mais les résultats sont là. Avant Pangea, nous mettions trois semaines à faire ce qui, aujourd'hui, nous prend trois jours. De ce fait, nous hésitons évidemment moins à lancer des calculs avec des algorithmes sophistiqués alors que, auparavant, nous ne lancions la simulation complète qu'une fois tout parfaitement calé.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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